• Avis sur L'Agent de liaison, de Hélène Frappat

    C'est un livre en forme de trou de serrure. On y saisit le monde par fragments, éclats de phrases et silhouettes brisées. Chaque page s'ouvre sur une nouvelle porte dont on n'a pas la clé, nous condamnant à épier en voyeur ces vies minuscules - du moins, ce que la philosophe Hélène Frappat nous en laisse entrevoir. Des destins de femmes en fuite, ayant chacune laissé un morceau d'identité derrière elle. « J'ai commencé à espionner mes voisins par une nuit claire et froide », écrit la narratrice. Elle en tire un entrelacs de procès-verbaux discrètement poétiques. L'une a perdu une bague d'une valeur inestimable, l'autre a plaqué sa famille, toutes ont été traîtres ou trahies. Et leurs histoires se répondent comme dans une page de faits divers. Un agent double se faufile aussi dans les chapitres, miroir du lecteur censé trouver le lien entre ces intrigues. Or Hélène Frappat le sème avec férocité, cet agent de liaison. Et nous entraîne avec lui dans un jeu de piste à la Sophie Calle, ludique, intelligent et sibyllin.

    Depuis notre trou de serrure, on ne perçoit pas tout. Juste quelques beaux échos de « cette mélancolie chronique des individus traqués ». C'est bien suffisant.