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    avis sur le livre : Juliet, naked, de Nick HornbyJ’ai plongé avec délice dans cet univers qui sentait bon le rock’n’roll dans des bistrots et boites un peu cradingues, les road movies et l’air iodé de la station balnéaire de Gooleness, où vivent Annie et Duncan. Bien que Tucker Crowe soit un personnage fictif, les clins d’œil que fait Hornby aux musiciens réels sont délicieux : il est comparé à Springsteen, et Jeff Buckley, avant de mourir s’était réclamé de l’héritage du vieux rocker. Le roman évoque aussi le processus de création, et l’inspiration. Comment faire, quand elle ne nous est pas venue depuis vingt ans ? Et comme d’habitude, Hornby n’oublie pas en plus de nous faire rire…

    Décrire la musique avec des mots n’est pas aisé : je ne sais pas exactement à quoi ressemblerait la musique de Tucker Crowe, mais à cause de ses références au blues, au folk, au rock, aux concerts de violon acoustique … j’ai pensé à Jeff Buckley pendant ma lecture.

     

     

    Je crois au final avoir préféré Haute fidélité à Juliet, naked, qui perd un peu de son rythme sur la fin. Néanmoins, c’est un bon Hornby, idéal pour découvrir son univers ! Que vous connaissiez ou non cet auteur, jetez-vous dessus !

     

     

    Ce livre a été lu dans le cadre du challenge anglais, chroniqué un trop tard. En revanche, il compte bien pour le challenge Des notes et des mots !

     

     

     

     


  • "Les identités remarquables" de Sébastien Lapaque. Le livre s’ouvre sur l’annonce de la mort prochaine du héros (auquel le roman s’adresse en le tutoyant). « Tu vas mourir, aujourd’hui, et tu ne le sais pas encore. »

    Cette mise en abîme peut sembler déconcertante (l’auteur s’adresse-t-il à nous, lecteur ? Ou à son héros, comme cela semble être le cas ?). Toute l’originalité du roman tient dans cet étonnant tête à tête dans lequel on se trouve tout à la fois impliqué et extérieur. Voyeur et lecteur. Simple témoin. Au fil des pages, le rythme s’impose. Et franchement, il n’est pas désagréable. On s’y sent bien. À l’aise. Le héros, condamné à mort donc, vit simplement. Il a un ami,

    Laroque, qui lui tient tout à la fois lieu de confident et de mentor. Il est professeur d’anglais, dans un petit lycée du sud de la France. Et entretient une relation plus charnelle que réellement sentimentale avec une certaine Caroline, marchande de jouets de son état et future parisienne dans les faits. Mais voilà, comme beaucoup de héros de roman, il cache un secret. Un secret à l’origine d’un drame familial. Et on le traque, dans l’ombre. On le file. On l’espionne. On va jusqu’à fouiller son appartement en son absence. Un frère et une sœur. Mais pourquoi diable font-ils ça ? Oui, pourquoi ? Qu’a donc fait cet homme à l’apparence si tranquille ? Si banale. Si banalement tranquille.

    Sébastien Lapaque manie ce suspense – tranquille lui aussi – avec un doigté que beaucoup pourraient lui envier. Son art consommé de la phrase, ni trop longue, ni trop courte, ses envolées, parfois lyriques mais jamais ridicules (certaines sont pourtant à la limite), est un vrai plaisir de lecture.De lecteur.

    Un livre bien écrit donc. Ce qui n’est déjà pas si mal.Bien évidemment, il arrive à son héros d’aller à la messe et de s’interroger sur cette haine que l’on peut avoir à l’encontre de la langue allemande, qu’il juge pourtant si « belle », surtout chez Bach… mais ce sont sans doute là mes à-priori qui me poussent à le noter (et je soupçonne fort l’auteur de l’avoir fait exprès, par goût de la provocation). Tout comme pour les oncles du personnage principal, dont il fait de joyeux légionnaires (jamais avars de chansons à la fin de repas forcément arrosés). Ni de son père, un farouche antimilitariste, exécré par sa belle-famille au point de devoir être enterré « à part », dans un autre cimetière…

    Un père, que son aveuglement idéologique, pousse à interdire à son fils les joies simples des maquettes d’avions de guerre ou de la diffusion des épisodes des « Têtes brûlées », le dimanche après-midi, à la télévision (heureusement pour lui, son meilleur ami est fils de militaire… l’honneur est sauf). Soit.Rien de bien méchant là-dedans. En tous cas de quoi renvoyer le livre à Fluctuat. Surtout que…Quel est donc ce fameux secret pour lequel il va mourir ? Et que cache « Mademoiselle mystérieuse » ? Quelle somme de frustrations accumulées ? De passions inassouvies ?Quelle douleur ?

    Je n’en dirai pas plus, afin de ne pas gâcher votre plaisir. Car, vous l’aurez compris, malgré des à-priori négatifs – essentiellement liés à la personnalité de l’auteur – je vous recommande la lecture de ce livre. Agréable. Bien écrit, au ton légèrement suranné (les dialogues en deviennent parfois surréalistes) et à la fin pour le moins… surprenante (décevante ?). Quant à ceux qui pensent y découvrir un bon vieux polar des familles, qu’ils déchantent immédiatement ou se fassent une raison.


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    livre : "L'homme qui arrêta d'écrire" de NabeNous voici enfin avec ce fameux roman de Nabe, tant décrié par certains, qui ne se sont même pas donné la peine de le lire, je parie.

     Cet unique et premier roman issu du milieu de l'anti-édition dont Nabe est désormais porteur de la bonne parole comporte exactement 695 pages, et se lit comme s'il en avait 250, tant il est fluide et agréable.

    Oui.  Agréable.  C'est le mot.

    J'avoue que j'étais très, mais alors très sceptique sur ce livre, d'autant plus que l'ouragan médiatique qui a tourné autour de Nabe m'avait plutôt laissé une mauvaise impression.

     

    Comme j'avais participé à une discussion chez Léo Scheer concernant ce livre, que j'y étais d'ailleurs d'assez mauvaise foi, je ne pouvais plus continuer à argumenter au risque certain de me discréditer, sans que j'eusse au moins lu ce roman. 

    Ce que je fis.  Je le commandai.  Et j'avais cette peur au ventre de me dire que j'allais être déçue.  Que ce type ne cesserait de geindre au fil des pages sur son triste sort d'écrivain incompris, et qu'il userait de sa plume pour noircir au vitriol toutes les personnalités du monde littéraire, et surtout de l'édition.

     Pour ne pas arranger les choses, j'avais en tête cette pub publié chez Chronic'Art où on voit Nabe en train de cramer un roman de chez Gallimard (je crois), histoire de faire le parallèle avec Gainsbourg et son fameux billet qu'il brûle devant les caméras.  Je me disais que ce mec là, Nabe, se la jouait, et qu'il n'assumait pas vraiment son rôle d'écrivain de l'anti-édition, qu'il lui fallait cette gloire médiatique dont la plupart son si friands.  J'avais lu également des critiques qui ne le hissaient pas spécialement vers le haut, donc j'étais pétrie de préjugés, à en crever même.

     


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    La jeune révoltée maigrit.  Bien sûr.  Depuis le temps qu’elle ne mange plus.  Et son père est impuissant, ne sait que lui dire, sourires gênés, je ne sais que faire de toi, claque la porte, revient s’asseoir au bord du lit, puis part, désemparé.

     

    L’anorexie, terrible maladie exprimant une souffrance qui se démène à l’intérieur d’un jeune être.

     

    Mais avant d’en arriver à ce point crucial, Maleea réussissait brillamment ses études ; était tolérée par les professeurs grâce à ses résultats scolaires élevés alors même qu’elle s’offrait à tous les garçons, donnant son corps pour qu’ils en usent et abusent comme ils veulent.  Qu’ils la salissent seulement, cela ne fera que confirmer cette indignité qui l’habite depuis… si longtemps.  Qu’ils la mouillent de leur sperme, qu’ils la maltraitent, tous, les uns après les autres, à la chaîne, ensemble pourquoi pas, cela lui est égal.  Ce corps lui obéit et il fera ce qu’elle en voudra.  Elle sait que ce corps rend les garçons fous.  Facile de le balancer en écartant seulement les cuisses.  Cela la fait bien ricaner de les voir s’agiter ainsi sur elle.  Qu’ils continuent.  C’est ce qu’elle a décidé.  C’est ce qu’elle veut s’infliger.

     

    Ces garçons ne sont que les pantins de ce qu’elle veut se faire subir à elle-même.  Si elle pouvait se cracher dessus et se vomir, elle n’hésiterait pas une seule seconde.  Mais comment se vomir soi-même ? 

     



     

    Ce soi, ce moi qui la fait tant souffrir, Maleea Lori essayera de le faire taire en détruisant sa carcasse. Encore un peu moins manger aujourd’hui.  L’aiguille de la balance baisse.  Tous les jours un peu plus.  Jusqu’à ce qu'elle devienne un paquet d’os ne tenant ensemble que grâce à son épiderme, sec.

     

    Mais nous savons ce qui lui cause tant de douleurs.  Le lecteur s’en aperçoit très vite.  Etienne Ethaire le dit, lui, à travers Maleea, que sa mère l’a abandonnée, oh, il y a longtemps déjà, on va dire à sa naissance.  Pour un tas de raisons… vénales.

     



     

    P18 : « J’étais un monstre, impossible de m’imaginer autrement qu’en fœtus gluant !  J’ignore pourquoi, mais je devais être différente des autres embryons qui vivent à travers les échographies.  Moi, je n’étais qu’un magma de cendres, un atome de non-matière en attente du passe de l’aspirateur … »

     



     

    Quelle mère peut abandonner ainsi son enfant ?  Ne jugeons pas, chacun son histoire ; c’est ce que Maleea fait, elle ne juge pas sa mère qui l’a engendrée au lieu de l’aspirer.  Mais elle ne peut empêcher son corps de se plier à sa volonté et de maigrir, de maigrir.  De maigrir.

     

    Un jour, pourtant, elle rencontrera sa mère.

     

    Une rencontre qui se poursuivra dans une relation fusionnelle, sensuelle, seule moyen qu’elle  auront toutes deux réussi à mettre en place pour se retrouver : par l’étreinte de leurs chairs.

     

    Mais elle maigrit.  Encore et toujours, depuis que son père lui a interdit de la revoir.

     

    Rien ne peut remplacer l’amour d’une mère.

     

    Rien ne peut remplacer l’amour et la tendresse, l’affection et l’écoute qu’un père est incapable de donner.

     

    Le corps de Maleea est décharné.  Horrible.  Immonde.  Reflet d’une souffrance qui l’aura bouffée entièrement. 

     

    Il est surtout sublime, ce corps.  Magnifique.  Merveilleux.  Car il est aussi l’expression de tout l’amour qu’elle est capable de recevoir et de donner.

     

    Ce roman raconte l’âme qui anime ce corps désarticulé ; chant du cygne qui ploie, avec grâce et élégance, une dernière fois son cou.  Ultime salut à la femme.

     


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    Chronqiue du livre : L'immortel in l'Aleph, Jorge Luis Borges.Bien que Borges soit le plus célébré des écrivains argentins, je lui préfère amplement Sábato ou Cortázar. Néanmoins, si je devais élaborer un recueil de mes nouvelles préférées, L'immortel serait de celles-là. Dans cette nouvelle d'une petite vingtaine de page publiée dans l'Aleph, Borges appréhende une problématique chère aux hommes : l'immortalité, et réussit le coup de force de faire la synthèse de tout ce qui pouvait être dit à ce sujet.

    Au IIIè siècle, à Thèbes, en Egypte, un cavalier venu d'Orient meurt dans les bras du narrateur, Marcus Flaminius Rufus, un tribun romain. Avant de rendre son dernier soupir, il avoue avoir fait toute cette route afin de découvrir le fleuve légendaire situé à l'Extrême Occident du monde dont l'eau rend immortel celui qui la boit.


    Le tribun, avec l'accord de ses supérieurs qui lui confient quelques centaines d'hommes, part à son tour en quête de ce mystérieux fleuve. La troupe erre dans la chaleur du désert. Les semaines passent, implacables ; les hommes meurent, se rebellent ou désertent, si bien que le tribun se retrouve seul, épuisé. La nuit, il délire et rêve de labyrinthes au centre desquels se trouvent de salvatrices amphores. A bout de force, déshydraté, le tribun aperçoit enfin la Cité des Immortels en haut d'un pic rocheux inaccessible et boit l'eau fétide d'un ru sous le regard d'hommes hébétés à l'allure incertaine qu'il prend pour des Troglodytes. Sans encore le savoir, il vient de devenir immortel ; le fleuve tant recherché n'étant que ce mince filet d'eau boueuse.

    En cherchant sous les yeux indifférents des Troglodytes un accès à la mystérieuse cité, Marcus Flaminius Rufus finit par se retrouver dans un labyrinthe qui, après des jours et de nuit, l'y mène. Il s'attendait à découvrir des merveilles, mais tout est horreur :

    « A l'impression d'antiquité inouïe, d'autres s'ajoutèrent, celle de l'indéfinissable, celle de l'atroce, celle du complet non-sens. (...). D'autres, fixés dans le vide à une paroi monumentale, sans aboutir nulle part, s'achevaient, après deux ou trois paliers, dans la ténèbre supérieure des coupoles. »

     

     

     





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